Hate Radio ou les talents de la haine

Hate Radio ou les talents de la haine

Il s’agissait de révéler la banalité du génocide à travers le travail quotidien des animateurs et journalistes. On les voit s’amuser et boire une bière, tandis que les cadavres s’amoncellent hors du studio. Le théâtre permet de montrer la face cachée.

Milo Rau

Milo Rau est considéré comme l’un des metteurs en scène les plus brillants de sa génération. Né en Suisse, en 1977, il a notamment suivi une formation de sociologue. C’est dans un théâtre réel qu’il invite le spectateur. Avec Hate Radio, nous sommes dans une sorte de campagne publicitaire pour la propagation de la haine : musique, « humour », infos… Tous ces ingrédients diffusés sur les ondes rwandaises ont alimenté un massacre de masse.

Hate Radio retrace le génocide rwandais par le prisme d’une radio à succès. Au hTh-Grammont, nous sommes face à un cube en verre ; la reconstitution du studio de la Radio des Mille Collines nous emmène loin dans l’horreur. Le rideau est fermé, l’éclairage éteint : les témoins du génocide racontent les atrocités : machettes, corps découpés, assassinats de familles, viols…Georges Ruggiu (comédien : Sébastien Foucault) intervient aussi, dans le cadre de son procès. Il est le Blanc de l’équipe, arrivé de Belgique, il fait part d’un excès de zèle dans ses propos contre la minorité Rwandaise, les Tutsi. Entre une bière, de la fumée et les éclats de rire, le programme peut commencer.

Au cœur des événements

L’avion se fait entendre, les spectateurs-auditeurs sont au Rwanda. Le Président de la République décède dans un crash d’avion : le déferlement de haine s’amplifie contre les « cafards », car il y a les « vrais » Rwandais et les autres… Pour rappel, entre avril et juin 1994, près d’un million de gens ont été tués. Le spectateur muni d’un transistor et d’un casque assiste à une émission telle qu’on pouvait l’entendre à la Radio des Mille Collines. L’émission se déroule en direct et la musique est bonne ! Malaise, il arrive aux spectateurs de rire de certaines blagues de Kantano Habimana (comédien : Diogène Ntarindwa), pourtant cet animateur est le pire idéologue qui soit, jusqu’aux dernières minutes de diffusion de la radio, il appelle à exterminer les Tutsi. Il est aussi plein d’entrain, il se lève souvent pour danser avec des grands gestes. L’humour est corrosif, et il a même un certain talent ; cynique, Kantano ne s’impose aucune limite. Quant à l’animatrice vedette, Valérie Bemeriki (comédienne : Bwanga Pilipili), elle s’inspire de passages de la Bible qu’elle détourne habilement. Elle en appelle aux mères, aux épouses pour soutenir les hommes hutus qui sont « aux combats » ; il y a eu des milliers de génocidaires. Elle serait la douceur féminine avec ses remarques sur le quotidien difficile et la vie chère. Mais agacée par les « malheurs » de sa communauté, elle se révèle théâtrale et aigre. Valérie Bemeriki, actuellement condamnée à la prison à vie, représente la voix de la culture par ses quizz d’Histoire revus et corrigés !

Au programme de la haine

Les vedettes de la radio sont liées par une complicité communicative : musique, reportages sportifs, discussions bon enfant. Ici, ce pourrait être une radio à la mode comme Skyrock, le sexe en moins. En ce début de la décennie 1990, la Radio des Mille Collines avait une influence forte au Rwanda, les discours de haine se diffusaient sur le média le plus important du pays. Le prologue et l’épilogue de la pièce sont des rappels du réel avec les témoignages des rescapés. Un comédien réapparaît par les traits d’une victime, il est aussi le terrible Kantano ; sa voix est cette fois posée, pleine de retenue. Nous sommes alors dans un silence recueilli d’autant plus troublant que certains comédiens sont étroitement liés au génocide.

Sur les ondes, le rythme est là ! La banalité de l’horreur se confond avec la bonne humeur. On est également au cœur des actualités. François Mitterrand est ainsi félicité par l’équipe, car la France a refusé de signer l’embargo. Par contre, l’Amérique de Bill Clinton est huée. Insidieusement, on progresse dans l’escalade de la haine. Extraits de phrases distillés dans la programmation parmi les éclats de rire : « – Vous avez tué plus de cent cinquante et un Tutsi !Voilà, petit à petit ! répond l’animatrice  ; Kantano renchérit : – Les cadavres parlent-ils ? Ils ressuscitent pour se confier à CNN ! (rires) ; Exterminez-les ! » La pièce se termine par les paroles d’une victime : « Quand il y a eu un génocide, il peut il y en avoir un autre. »

 

Milo Rau dénonce toutes les formes de fascisme. Il a effectué en amont un travail fouillé de chercheur. Cet étonnant spectacle provoque une emprise. Est-ce le dispositif immersif, le talent et l’implication des comédiens ? Dans cette euphorie grinçante, le spectateur-auditeur est emporté par l’ambiance festive, car les chansons donnent le ton. I like to Move it ! Souvenir de la décennie 1990 ; les décibels s’envolent. Georges Ruggiu, le journaliste belge, danse face au public qui répond à son tour ! Oui, le public réagit, il rit parfois, il est écœuré par le visage de cette barbarie mais il apprécie aussi certains « rythmes ».

Au hTh, c’est ce soir la dernière de Hate Radio, et la pièce vaut le déplacement. Elle mène à nombre de réflexions. Milo Rau met en garde sur la responsabilité des médias et les dérives des pouvoirs. Il vient de proposer une pièce sur la jeunesse djihadiste. Ce théâtre fait réfléchir sur la manipulation et les talents de la haine. En France, il y a eu le grand écrivain Céline qui a assouvi son antisémitisme par des pamphlets honteux pendant la Seconde Guerre mondiale alors que des gens étaient conduits dans des chambres à gaz. Plus près de nous, d’autres « talents » s’agitent, on peut penser à un humoriste ; Kantano avait aussi de l’humour, nombre de rescapés ont confié avoir ri pendant ses émissions.

Fatma Alilate

Hate Radio

Texte et mise en scène de Milo Rau

hTh humain TROP humain- Domaine de Grammont

Avenue Albert Einstein – Montpellier

Billetterie hTh : 04 67 99 25 00

Durée :1h45

Spectacle en français et en kinyarwanda surtitré en français

Tarif : 20 euros ; tarif réduit : 15 euros ; étudiants, spectateurs non imposables : 10 euros ; professionnels du spectacle : 10 euros ; enfants, collégiens, lycéens : 5 euros.

Dernière représentation de Hate Radio : vendredi 19 février 2016 à 20 heures

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